Illusions Diplomatiques : Trump, Poutine et un Conflit Figé

Dr. Imran Khalid
Crédit: Murat Gok/Anadolu

Lorsque la diplomatie vire au théâtre et que les tambours de guerre résonnent toujours en arrière-plan, il devient difficile de distinguer la sincérité de la mise en scène. Le second tour de pourparlers directs entre la Russie et l’Ukraine, prévu à Istanbul lundi prochain, peut ressembler à une lueur d’espoir – mais tout porte à croire qu’il ne s’agit que d’un mirage soigneusement orchestré.

Après trois années de guerre brutale, des dizaines de milliers de morts et de vastes régions d’Ukraine en ruines, le retour tardif aux négociations en face-à-face devrait marquer un tournant. Pourtant, il reflète surtout ce cycle épuisant de blocages, d’escalades et de positions figées qui caractérise ce conflit depuis le début.

La Russie a annoncé son intention de présenter un « mémorandum » lors de ces pourparlers – mais refuse jusqu’à présent d’en dévoiler le contenu, suscitant l’exaspération légitime de Kyiv. « La diplomatie doit être substantielle », a déclaré le ministre ukrainien de la Défense, Rustem Umerov, appelant Moscou à présenter ses exigences avant la reprise des négociations. L’Ukraine affirme, de son côté, avoir déjà soumis ses conditions et attend un retour équitable.

En toile de fond de cette diplomatie vacillante : un paysage marqué par des essaims de drones, des bombardements d’artillerie et des frappes aériennes. L’escalade semble être la langue commune des deux camps. Ce week-end, la Russie a lancé l’une de ses attaques les plus meurtrières depuis des mois, visant des civils tout en affirmant frapper des usines d’armement. En riposte, l’Ukraine a lancé près de 300 drones sur le territoire russe. Ce carnage a suscité la condamnation du président Donald Trump – qui s’est néanmoins abstenu d’imposer de nouvelles sanctions, craignant de « gâcher » un accord potentiel.

Trump, Médiateur ou Spectateur ?

L’équilibrisme de Trump constitue un spectacle en soi. Soucieux de tenir sa promesse de campagne visant à mettre fin à la guerre, il s’est positionné en prétendu artisan de paix, alternant flatteries et critiques envers Vladimir Poutine et Volodymyr Zelensky. Il a récemment qualifié Poutine de « fou », déplorant le changement de ton du dirigeant russe depuis leur dernier appel. Mais, tel un homme tentant d’éteindre un incendie avec un seau percé, la rhétorique de Trump se heurte à l’ampleur de la violence et à l’inertie géopolitique globale.

Les médias ont aussitôt exploité cette sortie, y voyant la preuve que Trump prend enfin conscience de « l’irrationalité » supposée de Poutine. Le récit dominant veut que Poutine soit devenu imperméable à toute logique, obsédé par ses rêves impériaux. Dès lors, toute tentative de négociation serait non seulement naïve, mais aussi dangereusement complaisante.

Mais cette grille de lecture occulte bien plus qu’elle n’éclaire. Elle passe notamment sous silence le contexte historique profond et le rôle de l’Occident dans la construction de cette tragédie. L’élargissement incessant de l’OTAN vers l’Est depuis la fin de la guerre froide a été largement commenté, mais rarement avec l’honnêteté requise. Les gouvernements américains successifs ont choisi d’étendre une alliance militaire conçue pour contrer l’Union soviétique jusqu’aux frontières d’une Russie post-soviétique encore meurtrie par le chaos économique, la corruption et les « thérapies de choc » d’inspiration occidentale.

Même les stratèges les plus bellicistes de la guerre froide avaient mis en garde : une expansion de l’OTAN en Europe de l’Est – et surtout en Ukraine – provoquerait une crise. Mais ces voix furent étouffées par une alliance entre les élites politico-militaires et les industriels de la défense, pour qui l’expansion de l’OTAN représentait à la fois une victoire idéologique et une manne financière. Quand des responsables américains furent explicitement avertis que l’adhésion de l’Ukraine serait une ligne rouge pour Moscou, ils ont poursuivi leur cap.

Une Paix Évanouie

De manière prévisible, Poutine a réagi par la force. La véritable tragédie est que l’Ukraine est devenue un pion dans ce bras de fer géopolitique – et qu’une paix semblait peut-être atteignable au début du conflit. Après l’invasion de février 2022, un projet d’accord prévoyait, semble-t-il, un retrait des forces russes vers leurs positions d’avant-guerre. Mais Kyiv, galvanisée par les promesses occidentales, s’est retirée des discussions.

Depuis lors, l’avantage ukrainien s’est lentement érodé. Malgré des milliards d’aides et d’armes occidentales, la contre-offensive ukrainienne n’a pas réussi à repousser les troupes russes. Pendant ce temps, la mainmise de la Russie sur les territoires occupés – notamment la Crimée et le Donbass – s’est consolidée. Le conflit s’est transformé en guerre d’usure, reléguant la diplomatie au second plan derrière les stratégies militaires.

Dans ce contexte, la réticence de Moscou à accepter un cessez-le-feu inconditionnel s’explique aisément. Pour l’instant, la poursuite des hostilités semble plus avantageuse qu’un compromis négocié. Le déploiement récent de plus de 50 000 soldats russes près de la frontière nord-est de l’Ukraine, dans la région de Soumy, en est un témoignage inquiétant.

L’appel de Zelensky à un sommet trilatéral avec Trump et Poutine – rejeté d’emblée par le Kremlin – relevait d’un pari désespéré. Le président ukrainien redoute, à juste titre, d’être écarté d’un éventuel accord conclu au-dessus de sa tête. Mais la faiblesse actuelle de Kyiv à la table des négociations le rend vulnérable. La réalité est que Trump comme Poutine considèrent désormais l’Ukraine moins comme un partenaire égal que comme un problème à gérer.

Le Prix Humain du Cynisme

Comme toujours, ce sont les civils qui paient le prix fort de ces jeux d’échecs géopolitiques. Chaque frappe de drone, chaque obus rappelle la brutalité d’une guerre qui aurait pu – et peut-être dû – se terminer depuis longtemps. Pourtant, les grandes capitales occidentales s’accrochent encore à l’illusion selon laquelle prolonger le conflit affaiblira la Russie sans confrontation directe.

Cette illusion – qui remplace la diplomatie par une guerre par procuration – a déjà échoué. L’arsenal de l’OTAN ne contient plus d’armes miracles. À moins d’envoyer des troupes américaines au combat, il reste peu d’options pour inverser la tendance en faveur de Kyiv.

Et nous revoilà aux discussions d’Istanbul. Si la paix doit être autre chose qu’un slogan, elle exige des choix difficiles et un examen honnête des réalités. Il faut admettre que la guerre n’a pas commencé dans un vide, que l’arrogance occidentale a contribué à allumer la mèche, et que la solution ne viendra pas d’un énième envoi d’armes, mais d’une reconnaissance des limites des réponses militaires.

La tentative de Trump de jouer les médiateurs – aussi imparfaite et maladroite soit-elle – reste une exception dans un consensus bipartisan selon lequel la guerre est la seule voie possible. Mais la paix ne peut être imposée. Elle doit se construire, patiemment, sur les bases du réalisme et du compromis.

En attendant, la guerre continue de faire rage. Et l’Histoire ne sera pas clémente envers ceux qui ont vu l’abîme – et ont choisi d’y plonger quand même.

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Imran Khalid est analyste géostratégique et chroniqueur en affaires internationales. Son travail a été largement publié par des organisations et publications de presse internationales prestigieuses.
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