La dernière salve économique de Donald Trump contre la Chine — avec des droits de douane atteignant jusqu’à 145 % sur les importations chinoises, accompagnée d’un répit temporaire de 90 jours pour d’autres partenaires commerciaux — tient moins d’une stratégie cohérente que d’un coup d’éclat théâtral.
Cette décision, annoncée avec le ton fanfaron habituel, semble surtout destinée à plaire à son électorat national : afficher une posture de fermeté envers Pékin tout en tendant une branche d’olivier — purement symbolique — à des alliés qu’il avait tout juste offensés. Mais derrière cette mise en scène de campagne se cache une grave erreur de calcul.
Il ne s’agit pas simplement d’un nouvel épisode dans la longue guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine ; c’est une provocation délibérée, une tentative de forcer Pékin à plier économiquement tout en recentrant le commerce mondial autour de la suprématie américaine. Les risques, cependant, surpassent de loin les bénéfices potentiels.
La Chine ne se contentera pas de droits de douane en riposte — bien qu’ils aient déjà commencé. Attendez-vous plutôt à une contre-offensive bien plus sophistiquée, exploitant les failles mêmes révélées par la pause tarifaire sélective de Trump. Pékin ciblera les exportations américaines les plus sensibles politiquement — produits agricoles du Midwest, composants technologiques des États clés — tout en renforçant ses liens avec les nations que Trump a temporairement épargnées. Le message sera clair : la Chine, et non les États-Unis, est le partenaire économique le plus fiable.
Mais la réponse la plus profonde et la plus significative sera structurelle. Pékin cherche depuis longtemps à réduire sa dépendance aux marchés américains et au système financier dominé par le dollar. L’escalade récente de Trump accélérera ce découplage.
La Chine devrait ainsi accélérer son innovation locale, étendre son influence via le Partenariat régional économique global (RCEP), et renforcer ses liens au sein du bloc des BRICS — une coalition de plus en plus vue comme une alternative aux institutions économiques dominées par les États-Unis. L’objectif ? Un écosystème commercial mondial où la Chine ne serait plus le facteur de désordre, mais plutôt un pôle de stabilité — surtout si un retour de Trump à la Maison Blanche ravive les incertitudes.
La méthode de Trump en matière de négociation commerciale suit toujours le même scénario : exigences maximalistes, mise en scène publique de confrontation, et accord de dernière minute qu’il présente comme une victoire, peu importe sa substance. Cette fois ne fera pas exception. Son objectif n’est pas de rééquilibrer le commerce ou de réformer les pratiques économiques chinoises — mais de produire un spectacle politique. Il visera probablement des concessions superficielles — quelques usines américaines relocalisées, des engagements symboliques d’alliés pour limiter les importations chinoises — qu’il brandira ensuite comme des triomphes historiques.
Mais les dommages collatéraux seront considérables. Le système commercial multilatéral, fondé sur des règles que les États-Unis ont contribué à créer après la Seconde Guerre mondiale, est déjà fragilisé ; l’unilatéralisme de Trump risque de l’anéantir complètement. En utilisant les droits de douane comme arme de manière aussi ciblée, il offre à d’autres nations à la fois l’incitation et l’opportunité de revoir leurs stratégies économiques — souvent au détriment des intérêts américains.
L’Union européenne, longtemps méfiante à l’égard de l’imprévisibilité de Trump, saisira probablement cette occasion pour affirmer une plus grande autonomie stratégique. Bruxelles pourrait chercher à renforcer l’Organisation mondiale du commerce comme garde-fou contre l’unilatéralisme américain, tout en élargissant prudemment ses échanges avec la Chine — non pour cautionner la politique de Pékin, mais comme mesure de précaution face à l’instabilité de Washington.
Le Mexique, grand bénéficiaire des relocalisations industrielles en provenance d’Asie, pourrait tirer profit des tensions entre Washington et Pékin — mais son gouvernement reste lucide. Conscient de la fragilité de sa dépendance à un partenaire aussi imprévisible que les États-Unis, le Mexique cherchera discrètement à diversifier ses liens économiques, notamment avec la Chine et l’UE, afin de se prémunir contre un protectionnisme américain futur.
Le Brésil, sous la présidence de Lula, se positionne comme un État pivot dans l’ordre commercial émergent. Fort de liens agricoles solides avec la Chine et d’un engagement croissant au sein des BRICS, il n’a aucun intérêt à prendre parti — sauf si les incitations économiques deviennent irrésistibles. L’Inde, souvent perçue comme un partenaire naturel des États-Unis pour contrebalancer l’influence chinoise, adopte une position d’équilibriste prudent.
Méfiant des ambitions de Pékin, New Delhi ne rejoindra sans doute pas la croisade tarifaire de Trump. Elle cherchera plutôt à renforcer sa propre base industrielle, à attirer des investissements de tous horizons, et à consolider les échanges Sud-Sud.
Les droits de douane de Trump ne sont pas qu’un nouvel épisode dans la rivalité sino-américaine : ils accélèrent la dislocation de l’ordre économique post-guerre froide. Le monde se fragmente en blocs concurrents, chacun avec ses propres règles commerciales, normes technologiques et systèmes financiers. Pour les petits pays, cela signifie davantage de choix — mais aussi plus de pression pour naviguer dans un paysage de plus en plus polarisé.
La plus grande victime pourrait bien être la mondialisation libérale et interconnectée que les États-Unis ont autrefois défendue. L’approche à somme nulle de Trump — fondée sur le ressentiment plutôt que sur une vision stratégique — risque d’accélérer le déclin du leadership économique américain. La Chine ne cédera pas ; elle s’adaptera. Et le reste du monde, loin de se rallier à Washington, cherchera sa résilience dans la diversification. Le nationalisme agressif de Trump pourrait ainsi produire l’inverse de ce qu’il vise : non pas la primauté américaine, mais un monde fracturé et multipolaire où les États-Unis ne sont qu’un acteur parmi d’autres — et où l’économie mondiale apprend à prospérer sans devoir allégeance à Washington.